Comment les mouches peuvent expliquer des causes d’effondrement des colonies d’abeilles ?

27 March 2014 par Super Administrateur
Des chercheurs du CBM viennent de démontrer la toxicité des insecticides de la famille des néo-nicotinoïdes à de très faibles concentrations. L’article publié dans le journal Environmental Science et Technology est déjà signalé au niveau international .

Charpentier G., Louat F., Bonmatin J.-M., Marchand P.A., Vanier F., Locker D. and Decoville M.
Lethal and sublethal effects of imidacloprid, after chronic exposure, on the insect model Drosophila melanogaster
Environmental Science and Technology (2014) – doi : dx.doi.org/10.1021/es405331c

Résumé :

Les néo-nicotinoïdes, nouveaux insecticides, sont sujets à une attention croissante, du fait de leurs impacts sur les écosystèmes. Ils représentent un quart du marché mondial. Leur implication dans la disparition des abeilles et des bourdons, que ce soit directement ou indirectement, a été décrite [1]. Des études ont été réalisées pour mieux évaluer les risques induits par de tels pesticides systémiques. Ces recherches concernent deux thématiques essentielles :Retour ligne manuel

la mesure de l’exposition des espèces non-cibles (méthodes analytiques) [2],Retour ligne manuel

la mesure des effets sur ces mêmes espèces (études toxicologiques) [3].

Depuis les années 2000, il a été montré que, non seulement les effets létaux lors d’une exposition aigue devaient être pris en compte (CL50 aigue : Concentration Létale 50% aigue), mais également les effets lors d’intoxications chroniques (faibles doses réitérées). Ces derniers peuvent aussi être létaux (CL50 chronique) ou sublétaux (LOEC chronique : plus faible concentration ayant des effets). Toutefois, même en laboratoire, il est très difficile de maitriser l’ensemble des paramètres expérimentaux avec des espèces sauvages, ou plus ou moins gérées, comme les abeilles par exemple. Un modèle animal, Drosophila melanogaster, parfaitement connu et représentatif, peut aider à la description et à la meilleure compréhension de la toxicité. Ceci est particulièrement utile pour des insecticides neurotoxiques de type néo-nicotinoïdes, lesquels bloquent le système nerveux central.

A partir d’une souche sauvage de drosophile étudiée au CBM depuis une quinzaine d’année, des chercheurs du laboratoire ont d’abord mesuré la mortalité (CL50 aigue) induite par l’imidaclopride pour les mouches mâles, femelles et pour les larves. Les larves ont montré une sensibilité 10 fois plus élevée que les adultes. Ils ont ensuite déterminé la CL50 chronique pour ces mêmes cas. Ils ont constaté une sensibilité supérieure, en exposition chronique, avec un facteur de 30 (males) à 170 (femelles).

Par ailleurs, toujours en exposition chronique, une surmortalité d’environ 30% a été observée à des concentrations beaucoup plus faibles que la CL50 chronique (1 000 à 10 000 fois plus faible). Les relations doses-mortalité ne sont donc pas monotones (sigmoïde). Dans le domaine des très faibles concentrations (nano molaire), la mortalité présente un profil en V (V-shape).

La survie d’une espèce dépend aussi bien de la survie des individus que de leur capacité de reproduction. Les chercheurs ont examiné les effets de l’imidaclopride sur l’accouplement et sur la fécondité des drosophiles, lors d’expositions chroniques. La fécondité a été significativement réduite selon un profil en V (-16%) à des concentrations 4 ordres de grandeur en dessous de la CL50 chronique. L’accouplement est également très significativement affecté (+ 30% ; profil en V) et cela permet de définir la LOEC de cette étude. Il est intéressant de noter que cette LOEC est 3 à 8 millions de fois plus faible que la CL50 aigue, concernant respectivementles males et femelles.

Ces résultats peuvent être rapprochés de ceux décrivant l’effet de ces neurotoxiques chez d’autres espèces non-cibles, notamment chez les pollinisateurs. En effet, il existe des similitudes au niveau du site de fixation de ces neurotoxique. Ce protocole d’étude représente un moyen fiable, rapide et peu coûteux pour faire des investigations sur les effets des néo-nicotinoïdes à très faible doses. Couplées aux mesures d’exposition réelles, de telles recherches permettent de mieux définir les risques engendrés par l’utilisation des pesticides, notamment en agriculture et en usage domestique.

Références :

[1] van der Sluijs, J. P., Simon-Delso, N., Goulson, D., Maxim, L., Bonmatin, J.-M., Belzunces, L. P. Neonicotinoids, bee disorders and the sustainability of pollinator services. Current Opinion in Environmental Sustainability, 2013, pp 293–305.Retour ligne automatique
http://dx.doi.org/10.1016/j.cosust.2013.05.007

[2] Paradis D, Bérail G, Bonmatin JM, Belzunces LP. Sensitive analytical methods for 22 relevant insecticides of 3 chemical families in honey by GC-MS/MS and LC-MS/MS. Analytical and Bioanalytical Chemistry, 406, 2014, pp 621-633.Retour ligne automatique
http://link.springer.com/article/10.1007/s00216-013-7483-z

[3] Charpentier G, Louat F, Bonmatin JM, Marchand PA, Vanier F, Locker D, Decoville M. Lethal and sublethal effects of imidacloprid, after chronic exposure, on the insect model Drosophila melanogaster. Environmental Science and Technology, 2014 Mar 3.Retour ligne automatique
http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/es405331c

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