Depuis la synthèse du premier dimère d’acide aminé à la fin du 19ème siècle, la synthèse de protéines a constitué un objectif fascinant pour des générations de chimistes. Inventée dans les années 1960, la synthèse peptidique sur support solide est depuis utilisée en routine pour des peptides constitués de quelques dizaines d’acides aminés. La découverte des réactions de « ligation chimique » dans les années 1990 a rendu possible la synthèse de protéines de plus de cents acides aminés : des réactions chimiques extrêmement sélectives sont ici mises en œuvre pour lier des segments peptidiques –eux-mêmes synthétisés par SPPS– et dont les chaines latérales ne sont pas protégées par les groupements protecteurs habituellement utilisés en synthèse organique. Grace à ces avancées méthodologiques, l’approche « chimique » de la synthèse de protéines complète aujourd’hui avantageusement les méthodes biotechnologiques et permet de générer des protéines natives ou modifiées, outils sur-mesure pour décrypter le vivant à une résolution atomique.
Toutefois, la synthèse de protéines de plusieurs centaines d’acides aminés requiert de nombreuses ligations chimiques successives, et donc des étapes particulièrement délicates de purification des intermédiaires réactionnels. Une solution pour s’affranchir de ces étapes est d’assembler les protéines par ligation sur un support solide. Bien que très attrayante, cette approche a été limitée à des preuves de concept : l'une des raisons principales est la difficulté de greffer sur un support solide adapté le premier segment peptidique via un bras (linker) qui doit pouvoir être coupé facilement une fois les ligations effectuées. En effet, les conditions requises pour la coupure des bras développés jusqu’ici sont incompatibles avec de nombreuses protéines.
Pour pallier ce problème les scientifiques du CBM, en collaboration avec des collègues de l’IC2MP de Poitiers, ont exploré des bras programmés pour être coupés dans des conditions très douce par une réaction enzymatique. De façon remarquable, La taille de l'enzyme est directement corrélée à la vitesse de coupure du bras, et donc à l’efficacité de la libération de la protéine synthétisée. La méthode a été appliqué à la synthèse d'un peptide de 160 acides aminés, qui est à ce jour la plus longue séquence jamais synthétisée par ligations chimiques sur support solide.
Référence de l’article : S. A. Abboud, M. Amoura, J.-B. Madinier, B. Renoux, S. Papot, V. Piller, V. Aucagne. Enzyme-cleavable linkers for protein chemical synthesis through solid-phase ligations, Angew. Chem. Int. Ed., 2021, accepted article. https://doi.org/10.1002/anie.202103768
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