Une nouvelle luminescence pour suivre en direct la libération de médicaments

Les liposomes sont des nanocapsules très utilisées pour transporter et libérer des agents thérapeutiques ou diagnostiques, ou les deux, in vivo. L’agent thérapeutique ne devient actif que lors de sa libération, évitant d’endommager les tissus sains. Être capable de suivre en direct cette libération est crucial pour comprendre et contrôler son action.

Les approches d’imagerie optique précédemment proposées utilisent exclusivement des fluorophores organiques ou des nanoparticules inorganiques, co-encapsulés dans le liposome avec le principe actif.

La luminescence des complexes de lanthanides est une alternative qui offre de nombreux avantages, notamment la capacité d’émission dans le domaine proche-infrarouge (NIR), facilitant ainsi la détection dans des systèmes biologiques.

Les équipes du CBM ont mis au point un assemblage innovant : un liposome constitué d’un complexe d’Ytterbium qui contient la molécule anticancéreuse doxorubicine. La luminescence NIR du complexe de lanthanide est observable uniquement en présence du médicament dans le liposome. Ce signal de luminescence NIR devient un outil pour le suivi direct et en temps réel de l’intégrité du liposome et, ainsi, de la libération du médicament.

Cette luminescence provenant du lanthanide a pu être détectée in vivo dans une souris porteuse d’une tumeur mammaire.

Références de l'article :

Doxorubicin-sensitized Luminescence of NIR-emitting Ytterbium Liposomes: Towards Direct Monitoring of Drug Release, Sara Lacerda, Anthony Delalande, Svetlana V. Eliseeva, Agnès Pallier, Célia S. Bonnet, Frédéric Szeremeta, Sandra Même, Chantal Pichon, Stéphane Petoud, Eva Toth, Angewandte Chemie Int. Ed. 13 août 2021  https://doi.org/10.1002/anie.202109408

 

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Nouvelle avancée méthodologique en synthèse totale de protéines

Depuis la synthèse du premier dimère d’acide aminé à la fin du 19ème siècle, la synthèse de protéines a constitué un objectif fascinant pour des générations de chimistes. Inventée dans les années 1960, la synthèse peptidique sur support solide est depuis utilisée en routine pour des peptides constitués de quelques dizaines d’acides aminés. La découverte des réactions de « ligation chimique » dans les années 1990 a rendu possible la synthèse de protéines de plus de cents acides aminés : des réactions chimiques extrêmement sélectives sont ici mises en œuvre pour lier des segments peptidiques –eux-mêmes synthétisés par SPPS– et dont les chaines latérales ne sont pas protégées par les groupements protecteurs habituellement utilisés en synthèse organique. Grace à ces avancées méthodologiques, l’approche « chimique » de la synthèse de protéines complète aujourd’hui avantageusement les méthodes biotechnologiques et permet de générer des protéines natives ou modifiées, outils sur-mesure pour décrypter le vivant à une résolution atomique.

Toutefois, la synthèse de protéines de plusieurs centaines d’acides aminés requiert de nombreuses ligations chimiques successives, et donc des étapes particulièrement délicates de purification des intermédiaires réactionnels. Une solution pour s’affranchir de ces étapes est d’assembler les protéines par ligation sur un support solide. Bien que très attrayante, cette approche a été limitée à des preuves de concept : l'une des raisons principales est la difficulté de greffer sur un support solide adapté le premier segment peptidique via un bras (linker) qui doit pouvoir être coupé facilement une fois les ligations effectuées. En effet, les conditions requises pour la coupure des bras développés jusqu’ici sont incompatibles avec de nombreuses protéines.

Pour pallier ce problème les scientifiques du CBM, en collaboration avec des collègues de l’IC2MP de Poitiers, ont exploré des bras programmés pour être coupés dans des conditions très douce par une réaction enzymatique. De façon remarquable, La taille de l'enzyme est directement corrélée à la vitesse de coupure du bras, et donc à l’efficacité de la libération de la protéine synthétisée. La méthode a été appliqué à la synthèse d'un peptide de 160 acides aminés, qui est à ce jour la plus longue séquence jamais synthétisée par ligations chimiques sur support solide.

Référence de l’article : S. A. Abboud, M. Amoura, J.-B. Madinier, B. Renoux, S. Papot, V. Piller, V. Aucagne. Enzyme-cleavable linkers for protein chemical synthesis through solid-phase ligations, Angew. Chem. Int. Ed., 2021, accepted article. https://doi.org/10.1002/anie.202103768

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J.-M. Bonmatin co-auteur d’une lettre dans Science (16 juillet 2021)

Un ensemble de co-auteurs spécialistes des pollinisateurs vient de publier une lettre dans Science (Simon-Delso at al. 2021). Cette lettre est un appel aux Ministres européens pour réagir en responsabilité et réduire les risques toxiques pour les pollinisateurs lors des évaluations des pesticides. Par exemple, si la mortalité naturelle des abeilles domestiques peut atteindre jusqu’à 5%, la communauté scientifique s’accorde sur un taux « acceptable » maximum de 7% pour un pesticide. Accepter 10%, c’est prendre un risque bien trop élevé en regard de la situation déjà catastrophique quant à l’effondrement des pollinisateurs. Du fait de l’importance cruciale de telles décisions pour le la planète et notre futur, les auteurs et l’éditeur ont choisi un style plus direct qu’habituellement pour passer leur message.

Référence : Simon-Delso N, Aebi A, Arnold G, Bonmatin JM, Hatjina F, Medrzycki P & Sgolastra F (2021) Maximize EU pollinator protection: Minimize risk, Science, 373(5552), 290. DOI: 10.1126/science.abj8116




Comment l’environnement hydrothermal de la Terre Primitive a pu influencer le choix du sucre constitutif de l’ADN et de l’ARN

© Francesco Piazza

Pourquoi le furanose est-il le seul sucre que l’on retrouve dans la composition de l’ADN et l’ARN alors que cette forme de sucre n’est pas la plus stable, donc pas la plus abondante, dans les conditions de température et de pression que nous connaissons actuellement ? Ce sont les sources hydrothermales, omniprésentes à la surface de la Terre primitive, et leur influence thermique complexe, qui pourraient être à l’origine de cette sélectivité. Cette étude menée par les scientifiques du Centre de biophysique moléculaire, qui fait l’objet d’un article dans la revue Nature Communications, devrait permettre de mieux comprendre pourquoi et comment les molécules s’assemblent pour donner la vie dans un contexte géologique primitif.

Référence

Avinash Vicholous Dass, Thomas Georgelin, Frances Westall, Frédéric Foucher, Paolo De Los Rios, Daniel Maria Busiello, Shiling Liand & Francesco Piazza
Equilibrium and non-equilibrium furanose selection in the ribose isomerisation network

Nature Communications, 12 2749 (2021) https://www.nature.com/articles/s41467-021-22818-5




Quand un domaine protéique non-conservé devient essentiel

La terminaison de la transcription Rho-dépendante est un mécanisme de régulation génique spécifique aux bactéries. Chez certaines espèces comprenant la plupart des Actinobactéries et des Bacteroidetes, le facteur Rho contient un grand domaine d'insertion N-terminal (NID) peu conservé et de fonction cryptique. A travers la première caractérisation d'un facteur Rho actinobactérien contenant un très grand NID (~40% de la masse totale), nous montrons qu'un tel domaine protéique non conservé peut être essentiel. Sans NID, le facteur Rho de Bacteroides fragilis (BfRho) ne peut en effet pas induire de terminaison de transcription et exhibe une affinité réduite pour l'ARN. La présence d'un NID dans BfRho n'est pas corrélée à l'absence de résidus ou de motifs jugés essentiels dans les facteurs Rho d’autres espèces et ne possédant pas de NID. Le besoin de NID est probablement lié à la coévolution de partenaire(s) comme l’ARN polymérase ou les séquences ciblées par BfRho dans le transcriptome pauvre en G+C de B. fragilis. Nos données mettent ainsi en évidence que « fonction » et « conservation» ne riment pas toujours.

Simon I., Delaleau M., Schwartz A., Boudvillain M.
A Large Insertion Domain in the Rho Factor From a Low G + C, Gram-negative Bacterium is Critical for RNA Binding and Transcription Termination Activity
Journal of Molecular Biology (2021) 433 (15) 167060 - Doi : 10.1016/j.jmb.2021.167060

“Etonnante chimie”. La chimie est partout autour de nous : de l’infiniment petit à l’infiniment grand, elle n’a pas fini de nous étonner !

Sous la direction de Claire-Marie Pradier, et coordonné par Olivier Parisel et Francis Teyssandier 1, Etonnante chimie montre à quel point des secteurs aussi divers que l’énergie, les matériaux, la santé, ou les nouvelles technologies progressent grâce aux efforts et découvertes des chimistes. Les récits surprenants de 80 scientifiques mènent les lecteurs et lectrices de la chimie des océans à celle de l’espace interstellaire, en passant par celle au cœur des molécules.

Le chapitre "Des agents intelligents pour l’imagerie" rédigé par Éva Jakab Tóth, chercheuse en chimie bio-inorganique et directrice du CBM, et Bich-Thuy Doan, chercheuse à Chimie ParisTech - PSL, présente l'imagerie moléculaire : une technique révolutionnaire pour explorer le corps humain. Grâce à des sondes ciblant des biomarqueurs spécifiques, cette technique permet de détecter des maladies ou des perturbations physiologiques avant même que les changements morphologiques apparaissent. Ainsi, constitue-t-elle un puissant moyen de diagnostic précoce. Mais cette technique ouvre bien d’autres voies. Au-delà des applications cliniques, l’imagerie moléculaire est un outil précieux pour les recherches qui s’intéressent aux causes moléculaires des maladies ou tout simplement au fonctionnement du vivant.

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Le livre édité par CNRS Éditions est disponible en librairie.

“Biodiversité scepticisme” dans la communauté scientifique ?

Biodiversité scepticisme ?

A partir d’une analyse de séries temporelles sur l'abondance d’espèces d’insectes aux USA, Crossley et al. relevaient dans la revue Nature Ecology & Evolution (août 2020) l’absence de preuve d'un déclin global de l'abondance ou de la diversité des insectes dans ce pays, ceci aussi bien pour les sites en environnement naturel que pour ceux anthropisés. Leur étude qualifiait de rassurante cette apparente robustesse des populations d'insectes aux USA, à contrario d’études récentes faisant état d'une diminution spectaculaire de leur abondance un peu partout sur la planète.

Un consortium pluridisciplinaire incluant des chercheurs d’INRAE, de l’Université de Rennes et du CNRS a cependant identifié dans l’article de Crossley et al. des problèmes majeurs concernant : 1) l'analyse statistique et 2) les incohérences dans la sélection des données. Le consortium démontre, dans un commentaire paru à son tour dans Nature Ecology & Evolution le 5 avril 2021 Desquilbet et al., que ces biais remettent en cause les conclusions de Crossley et al.

C’est ainsi la seconde fois (voir ici) qu’une publication de haut rang minimisant le déclin des insectes fait l’objet de larges critiques méthodologiques. Ces études posent la question d’un « biodiversité-scepticisme » dans la communauté scientifique. Pour mettre en place une protection adaptée de la biodiversité, les décideurs publics ont besoin d’un diagnostic éclairé et non brouillé par des études biaisées et qui ralentissent la prise de décision.

Référence :
Desquilbet M, Cornillon PA, Gaume L & Bonmatin JM (2021)
Matters arising: Adequate statistical modelling and data selection are essential when analysing abundance and diversity trends
Nature Ecology & Evolution doi : https://www.nature.com/articles/s41559-021-01427-x

On en parle : voir INRAE 23/04/2021, Le Monde 24/05/2021, Charlie Hebdo 02/06/2021